lundi 23 octobre 2017

Une paroisse sous la Révolution (4)

Fermer les églises et chasser les prêtres, ou à tout le moins leur refuser la moindre fonction publique, présentent quelques inconvénients pour les municipalités : qui va désormais s'occuper de l'instruction des enfants ?

La Convention s'est penchée sur la question. Le décret du 29 frimaire an II(1), relatif à l'organisation de l'instruction publique, institue un enseignement libre, laïc et gratuit. Mais devant l'immensité de la tâche, il revient aux communes de prendre en charge l'organisation des affaires scolaires.

Nommer des instituteurs

Dans le bourg d'Aucun, c'est un afflux soudain de candidatures : ils sont une vingtaine à s'inscrire sur le registre des actes communaux, dix-sept hommes et trois femmes, entre le 28 février et le 2 avril 1794. À se demander si les postulants n'y voient pas un moyen de faire preuve de patriotisme ou d'échapper à des réquisitions plus périlleuses. À moins que l'appât du gain…

En l'état des textes, il n'est nul besoin d'apporter la preuve de ses capacités à enseigner. Un simple certificat de civisme suffit.

Parmi les candidats, je compte mon ancêtre Alexis Fourcade Ors et sa sœur, Paule Fourcade Laforgue, de quelques années sa cadette.

Il est intéressant de noter que les hommes déclarent vouloir "enseigner à lire, écrire, les principes de l'arithmétique, les principes de la grammaire française, l'explication des droits de l'homme et la constitution française", à quelques variantes près dans la formulation. Plus modestes, les femmes souhaitent simplement "enseigner à lire et les principes de l'écriture", ce qui en dit long sur la confiance qui leur est accordée, aussi bien en matière de mathématiques que de droits civiques.

Le 2 avril 1794, deux instituteurs sont élus et un troisième, présenté par la section de Labat, distante d'environ une lieue, est accepté(2). Deux institutrices (dont la sœur d'Alexis, Paule Fourcade) sont également élues.

Recenser les enfants à scolariser

Dès le 9 avril 1794, notre "ami" l'agent national Jean Massot(3) requiert le maire et les officiers municipaux de demander aux citoyens d'Aucun d'envoyer leurs garçons et filles de 6 à 18 ans devant les instituteurs et institutrices.

Sans grand effet, apparemment, car il réitère sa requête le 29 mai et menace même les récalcitrants de les dénoncer comme rebelles, rien que cela !

Début juin, deux listes sont établies : la première comprend 60 garçons, de 6 ans pour les plus jeunes jusqu'à 17 ans pour les plus âgés, si j'en crois les indications portées sur le registre, à considérer néanmoins avec précaution ; la seconde comprend 63 filles, également de 6 à 17 ans.

AD 65 Registre des délibérations d'Aucun
45 E dépôt 32 vue 84/292

J'y trouve deux fils d'Alexis Fourcade, le jeune Jacques (alors âgé de 10 ans et non pas de 9 comme indiqué sur le document) et le jeune Bernard (âgé de 8 ans, plutôt que de 6). J'en conclus que l'aîné, Etienne, qui avait vu le jour en décembre 1779, est vraisemblablement déjà décédé : il n'apparaît pas sur cette fameuse liste. Gabriel, né vers 1790, n'y figure pas davantage, en raison de son trop jeune âge. Quant à Jean Louis, mon ancêtre direct, il est né en mai 1793 et  ce n'est encore qu'un nourrisson.

Mais envoyer les enfants à l'école au mois de juin, alors que la saison d'été nécessite la participation de toutes les petites mains dans les champs ou pour garder les bêtes ? Mauvais calcul ! D'ailleurs, l'un des instituteurs ne tarde pas à jeter l'éponge :

"Je bas signé André Lacaze citoyen d'Aucun déclare par la
présente démission que je couche sur le présent registre ne vouloir
faire aucune espèce de fonction en qualité d'instituteur conformément
à la nomination que m'en avoit faite les citoyens de la commune
que je remercie très fort les pères et mères qui m'avoit accordé leur
confiance pour l'enseignement de leur fils, que veu le petit nombre
qui m'étoit confié ne suffisoit pas pour m'occuper de manière que
je déclare n'être plus instituteur, Aucun le neuf messidor an 2me de la
République une & indivisible."

Oserai-je dire que son expression n'était pas fluide et qu'il avait aussi quelques soucis avec l'orthographe ? Mais, à y regarder de près, c'est peut-être le greffier qui est à blâmer.

De la gestion des affaires scolaires, il ne sera plus question dans le registre des actes communaux avant février 1804.




(1) Décret du 19 décembre 1793, également appelé décret Bouquier, il vient compléter un décret du 30 octobre 1793 lequel prévoit une école dans toutes les localités de plus de 400 habitants et l'admission des enfants en classe à partir de 6 ans. Sur ce sujet, voir P. Chevallier, B. Grosperrin et J. Maillet, L'Enseignement français de la Révolution à no jours, Editions Mouton, 1968

(2) Deux d'entre eux, empêchés, seront remplacés dès le 18 avril suivant.

(3) Voir les billets publiés le 25 septembre et le 2 octobre derniers.

2 commentaires:

  1. C'est très interressant. Voilà une nouvelle piste à explorer, ... pour les jours d'hiver.

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    1. J'ai beaucoup de chance : les registres des actes communaux ont été mis en ligne, ce qui n'est pas le cas dans tous les départements, je pense, et ils couvrent largement la période de la Révolution.

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